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Sciences humaines territoriales et sociales

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Sciences humaines et sociales du langage et des langues

DES PEURS IRRATIONNELLES DU METISSAGE LINGUISTIQUE 

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« Moi je pense qu'il ne faut pas utiliser l'anglais dans la langue française »

Propos d'un étudiant népalais en France

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  • Doit-on limiter notre communication en contexte à une seule langue (par exemple l'anglais, ou le français) et éviter les emprunts et croisements de langues ?

  • A quels titres envisager de faire de l'anti-anglicisme (pour l'exemple des francophones en France), ou d'autres emprunts, une lutte afin de protéger nos langues et nos cultures ?

  • Est-il possible de parler de « pureté » des langues en ce sens qu'elles ne seraient pas mélangées avec d'autres ?

  • Existe-t-il des langues non influencées par d'autres ?

  • D'où viennent les langues ? Comment sont-elles apparues ?

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  • Quelles peurs se cachent derrière le "métissage"ou "tissage" linguistique ? Ces peurs sont-elle fondées ?

  • Quelles exigences se cachent derrière la volonté de limiter au maximum, voir d'éliminer, le métissage linguistique en contexte de communication exolingue (en présence de personnes ayant différentes langues d'origines)  ?

  • Peut-on invoquer cette volonté par amour d'une langue ? Ne serait-ce pas, au contraire, lui porter atteinte que de vouloir la renfermer sur-elle même ? Ne serait-ce pas là une vision très fermée de l'amour qui doit se jouer uniquement au sein d'une même culture ?

    Ne serait-ce donc pas là, enfin, le révélateur d'une pensée identitaire de « l'entre soi » véhiculée par des représentations collectives issues de systèmes culturels, religieux ou politiques, qui imposent dans nos représentations individuelles cette idée de ne pas devoir mélanger nos langues ?

 

  • Ne pas vouloir envisager le métissage linguistique comme une possibilité et même une nécessité dans nos systèmes de communications se veut-il en accord avec l'idée que l'on puisse quand même se mélanger, aller à la rencontre de l'autre ?

 

  • Lorsqu'on s'oppose à ce métissage, s'oppose-t-on donc à la rencontre de l'Autre ?

  • S'oppose-t-on à une société multilinguisme/plurilinguisme ? Sinon, quelle(s) valeur(s) y accorde-t-on que l'on n'accorde pas au métissage linguistique ?

  • Sommes-nous aussi exigeant envers d'autres cultures que les nôtres ?

  • théorie « je suis pour que chaque langue se préserve des emprunts d'une autre et pour que lorsqu'on utilise une langue, on ne parle pas d'autres langues ». Pratique : comment cela serait vécu par ces personnes d'aller dans un autre pays où on ne souhaite pas qu'elles parlent sa langue d'origine ?

 

Anecdote :

Un jour, lorsque je commençais à travailler en tant que professeure de FLE, autour d'une table à la pause déjeuner avec des collègues, l'une d'entre elle raconte qu'elle a vécu quelques années à l'étranger pour suivre son mari. 

Une autre collègue s'exclame :

"Et alors, tu as appris l'anglais ?"

"Oh bah non tu parles j'avais pas que cela à faire".

N'est-ce pas le comble pour des formatrices linguistiques qui forment les immigrés à apprendre le français, et parfois, sont très brutales et irrespectueuses dans leurs propos vis-à-vis d'eux : "ils sont bêtes au téléphone ! ils ne comprennent rien !". 

 

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Mon idée à moi sur le mélange des langues, peu importe où :

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S'autoriser à mélanger des langues dont on a la connaissance, d'inclure des langues dans d'autres lorsque l'on communique, à l'inverse de favoriser la disparition d'une langue, favorise sa pérennité et par conséquence logique, celle de nos cultures. Car lorsque l'on s'efforce de ne pas mélanger les langues, de les représenter en tant que systèmes de communications aux frontières « fortes » et non poreuses, on peut craindre là de favoriser le mécanisme d'exclusion de langues qui a fortiori ont moins de place à prendre dans les sociétés du fait d'un nombre de locuteurs moins nombreux mais aussi du fait de rapports de dominations et de statuts (langue officielle/langues régionales/ dialectes etc.) pouvant mener à leurs disparitions dans les pratiques puisque les langues dites minoritaires et parlées par des minorités ne sont pas fixées sur un territoire, il faut en avoir la représentation au travers de ceux qui les parlent. Et dans un Monde où les « minorités » se trouvent face à des enjeux de survies (économiques, politiques etc.) les amenant à se déplacer, là où des déplacements d'individus favorisent la formation des diasporas, d'autres déplacements favorisent l'oubli des langues d'origine dans l'effacement progressif de leurs pratiques par leurs locuteurs qui se voient leurs identités assimilées aux identités locales.

Il est assez simple de comprendre que moins on a l'occasion de pratiquer sa ou ses langues d'origines, plus celles-ci vont se faire rare dans notre système de pensée et ne vont se transmettre. Or les conditions de pratiques de celles-ci tiennent à plusieurs conditions :

- des politiques d'intégration innovantes et interculturelles

- des sociétés volontairement plurilingues, s'habituant à être à l'écoute des langues les plus diverses qui existent

- la possibilité de parler ses propres langues d'origines, peu importe où géographiquement car, puisque les politiques seraient tournées vers le plurilinguisme, la possibilité de rencontrer des locuteurs de nos propres langues s'accroîtraient.

 

De fait, les langues sont influencées et s'influencent les unes les autres car elles sont dynamiques puisque les sujets qui les utilisent, les être humains, sont mobiles, et communiquent entre eux peu importe leurs langues et leurs cultures.

Aussi, prétendre pouvoir exclure une langue d'une autre dans l'usage est pure utopie puisque les langues sont déjà imprégnées d'autres langues dans leurs champs lexical (c'est le cas du français avec la présence de nombreux mots dérivés ou entièrement empruntés de l'arabe et de l'anglais par exemple) mais aussi grammatical. Et bien plus alors, dans nos esprits, puisque les mots que l'on utilise influencent nos représentations.

 

Penser multilinguisme et métissage linguistique dans le sens qu'il s'agit de s'autoriser, ou par nécessité, de passer d'une langue à une autre (sur le plan du vocabulaire), quitte à créer le temps d'une discussion notre propre langage n'est-il pas quelque chose d'incroyable ?

 

Notons que des langues et des cultures sont nées d'un métissage linguistique fort, « les créoles », qui ont permis à des êtres humains sous dominations sociales et culturelles, mais aussi aux droits casi inexistants, d'exister en tant qu'autres qu'esclaves, et de s'approprier leurs cultures et leurs droits futurs.

 

Rappelons enfin, que nous sommes la plupart ignorant de l'origine des langues, de leurs histoires, de leurs pratiques à l'écrit et à l'oral. Que bien des cultures se sont mélangées, que bien des textes, dits sacrés, sont témoins de ces mélanges. Que nos représentations des langues associées à des savoir culturels précis (le français = la philosophie des lumières, la grande littérature etc.), ont toujours pour origine des représentations collectives et individuelles de ce que l'on se représente être, ici en l'occurrence, comme une « source de savoir », « une science », « une grande littérature », « de grands philosophes ». Il serait aussi réducteur et de définir la qualité ou l'importance d'une culture par la place de sa langue dans les textes, que de définir l'importance d'une langue au regard des productions qui lui sont associées.

Dans les deux cas, il y a danger à encenser une culture, ou une langue. Si l'on applique ce principe à la langue française, on peut se trouver bousculer dans nos représentations de cette langue comme « une belle langue » lorsque l'on apprend qu'elle est à l'origine établie par la monarchie afin de se détourner du « peuple » et que l'on comprend le caractère impérialiste et le processus de hiérarchisation des classes sociales qui se cachent derrière (si l'on est un tant soit peu sensibles à la question d'inégalités de conditions des classes sociales). Nos connaissances historiques sont limitées, celles scientifiques aussi, nos représentations de ce qui est « vrai » « bien », « beau », ne cessent d'évoluer mais aussi de se contredire, de s'opposer voir de s'annuler, et l'on peut questionner le sens qu'il y a à vouloir porter un tel jugement de valeur sur une langue ou une culture. Et ce, autant à l'échelle individuelle (trouver une culture « belle » n'a pas de sens : « j'ai voyagé là-bas, c'est bien, les gens sont gentils, c'est une belle culture) qu'à l'échelle collective (vouloir dominer une culture parce qu'elle ne représente pas d'intérêt, voir un danger aux yeux d'une autre a tragiquement mené à bien des génocides).

 

Enfin, n'oublions pas que la langue française ne veut pas dire grand-chose lorsqu'on souhaite la définir, à quel standard nous limitons-nous alors lorsqu'on souhaite parler « français et uniquement français » ? De quel français parle-t-on ? Lorsqu'un étranger souligne le fait que l'on devrait parler français et uniquement français en France en y invoquant l'argumentaire d'un ami natif français qui a la même conviction, n'est-ce pas dors et déjà intéressant de pointer du doigt qu'il leur sera très difficile de démontrer qu'ils parlent ici la même langue et qu'ils parlent du même français ? Du fait que l'un ait appris cette langue et que l'autre soit né avec ? Lorsque l'on sait qu'une langue se définit aussi par sa pratique et que l'on peut assurer que leurs pratiques et leurs standards diffèrent nécessairement ? Sans même souligner le fait que l'origine française de l'ami en question, qu'il soit du Nord, de l'Est, de l'Ouest, du Centre ou bien du Sud de la France, ne convoque donc pas la même culture et donc la même langue française qu'un autre ami qui aurait soutenu la même thèse contre l'anglicisme et autres inclusions linguistiques et qui serait originaire d'une autre région.

 

 

Conclusion

 

« A quoi bon ? », « à quoi bon » donc, comme le dit si joliment Jeanne Birkin avec son accent, débattre sur les inclusions d'autres langues dans les nôtres lorsque l'on connaît un Monde mobile et dynamique, lorsque l'on connaît les dangers du rejet, lorsque l'on aime une langue mais que l'on sait aussi que ce qui compte, c'est notre pratique à nous et que l'idée de contrôler la pratique des autres est vaine ?

 

Je finirais avec ce questionnement, simple mais que l'on se pose peut-être peu. N'a-t-on pas, même avant l'apprentissage de langues étrangères, en considérant uniquement notre langue de tous les jours, n'a-t-on pas déjà là, dans son usage quotidien, selon nos interlocuteurs, selon que l'on parle ou que l'on écrive, que l'on utilise l'ordinateur ou le stylo, que l'on lise un journal ou un roman, n'a-t-on pas déjà là, le sentiment et la possibilité de parler plusieurs langues ? Ne participe-t-on pas déjà là, d'un métissage culturel enrichissant ? Pourquoi en avoir peur ? Pourquoi avoir peur d'aimer ce qui fait ce que l'on est ? Des êtres humains beaucoup plus complexes que notre cerveau et nos représentations ne nous le laissent penser.

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Extrait d'une thèse que je souhaite défendre !  Bahia Aoued

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